10 – Veltiem
Le soleil se couchait sur les remparts d'une imposante cité. Autour, il n'y avait aucune plante, aucun arbuste, aucun arbre. De la poussière virevoltait sur le seul sentier menant à la ville, porté par le vent. Sur les remparts de pierre se trouvait des soldats faisant le guet. Sur le chemin, deux silhouettes apparurent, toutes deux portant un arc en bandoulière. Les deux esalmias s'approchèrent des portes de la ville.
- Halte ! lança le garde en faction d'une voix dure. On ne passe pas !
L'esalmias blond baissa la lance que le garde pointait sur eux, menaçant.
- On se calme, l'ami, répondit-il. Je suis Océrem, fils du Seigneur Péneltos.
Le second esalmias s'avança.
- Et je suis Meneldil, ami du dirigeant de cette ville.
L'expression du garde se radoucit instantanément et il planta le bout de sa lance dans le sol, s'inclinant rapidement, et très maladroitement.
- Pardonnez moi, je ne vous avais pas reconnu, s'excusa-t-il. Faîtes ouvrir la porte ! cria-t-il en direction des remparts.
Dans un grincement, la lourde porte de la cité s'ouvrit. Les deux visiteurs passèrent les remparts et avancèrent dans la rue principale. Veltiem était une ville de taille moyenne et très ancienne. Elle avait servie de place forte dix mille ans auparavant, lors de la «Ohta Ormë[1]». En s'avançant dans la cité, les deux esalmias virent énormément de commerçants. La rue principale était pavée tandis que les ruelles n'étaient que terre et poussière. Il n'y avait que très peu de monde dans les rues et la majorité de la population s'était enfermé dans leurs maisons, les volets en bois fermés pour ne pas voir au dehors.
- Quel silence ! remarqua Océrem.
- A croire qu'ils devinent se qui les attend, soupira Meneldil.
- Ohta[2] ! marmonna l'esalmias blond en soupirant à son tour.
Tout en avançant, ils regardèrent les quelques personnes présentent dans les rues. Toutes avaient l'air affamées et épuisées. Les deux esalmias continuèrent leur route, Meneldil servant de guide à Océrem, qui n'était jamais venu dans la cité. Les deux esalmias avaient lentement fait connaissance durant les derniers jours.
Ils arrivèrent devant la plus grande maison de la cité. Le dirigeant de la ville vivait ici et Meneldil, au fil de ses voyages, avait finit par lier une amitié avec lui. L'esalmias châtain frappa au battant de la porte et se recula. Pas un bruit ne retentissait, que se soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la maison. Après un temps qui parut extrêmement long aux visiteurs, la porte s'ouvrit lentement. Un esalmias brun passa la tête dehors et scruta les environs avant de reconnaître ses visiteurs.
- Meneldil !
Il les fit rapidement entrer et s'empressa de refermer la porte derrière lui.
- Qu'est ce qui se passe, Jalep ? demanda le visiteur châtain.
Jalep se tourna vers eux, légèrement plus détendu, et les entraîna dans son bureau. Il les invita à s'asseoir d'un mouvement de la main, se qu'ils firent.
- Il y a quelques jours, une rumeur à circulé en ville, raconta-t-il. Je n'y ai tout d'abord pas fait attention, mais elle s'est répandue très rapidement et bientôt, toute la cité en parlait. D'après cette rumeur, un esalmias serait à la solde du Grand Conseil et ne serais parmi nous que pour jouer le rôle d'espion. De plus, nous avons appris il y a de cela trois jours que le général Siladan est porté disparu. D'après ces troupes, il aurait déserté, mais je n'y crois guère. Il a toujours été fidèle au Seigneur Péneltos et il est réputé pour ne pas avoir reculé, même devant une centaine d'ennemis. Il n'aurait pas fui, j'en suis persuadé !
Meneldil resta silencieux un moment.
- Les habitants se terrent dans leurs maisons, tout le monde se méfie de tout le monde, chacun soupçonne son voisin. Nous pouvons bientôt nous attendre à une attaque de la ville de la part des armées du Grand Conseil. Certains villageois ont déjà fuient la cité pour aller se réfugier à l’est.
Meneldil se leva et se mit à marcher de long en large dans le bureau.
- La situation est pire que je ne le pensais, remarqua Océrem.
- Les nouvelles mettent du temps à arriver à Alanil, soupira Meneldil. Les missives sont parfois interceptées par des mercenaires du Grand Conseil.
- Le dernier message que le seigneur Péneltos est reçu au château disait que les troupes du Grand Conseil avaient prit le fort de Gouenliem. Mon père avait fait donner l’ordre de rapatrier le reste de nos soldats à Veltiem.
- Le général Siladan a disparu sur le chemin de la cité et plus personne ne l’a revu depuis, ajouta Jalep. Je n’ai pas osé envoyer des soldats à sa recherche, nous avons besoins de toutes nos troupes pour défendre la ville. De plus, les routes ne sont plus sûres et des éclaireurs du Grand Conseil rôdent.
Meneldil se rassit sur son siège et réfléchit un moment. Les deux esalmias gardèrent le silence un moment tandis que Jalep faisait de même.
- Mais je me doute bien que vous n’êtes pas venus me voir pour parler de l’attaque imminente de la cité, lança Jalep.
- C’est exact, malheureusement, approuva Océrem. Nous sommes venus vous demander des chevaux pour nous rendre à la Montagne Inversée.
Jalep se leva et invita ses visiteurs à l’imiter.
- Je vous donnerais des chevaux, bien entendu. Je vais vous menez aux écuries de la ville, ou vous pourrez choisir par vous-même. Se n’est sûrement pas par hasard que Meneldil voyage avec le fils de notre seigneur.
Les trois esalmias marchaient dans les rues de la ville, toujours aussi déserte. Seules quelques habitants se risquaient au dehors et se lançaient des regards méfiants. Tout le monde soupçonnait son voisin d’être l’espion des rumeurs qui avaient circulés dans la cité. Ils passèrent devant les remparts, ou des soldats montaient la garde. Une certaine nervosité se fit ressentir chez Jalep.
- Nos soldats sont tout juste assez nombreux pour défendre la ville, expliqua-t-il. Nos troupes ont un temps soit peu augmenté avec le rapatriement du reste de la garnison de Gouenliem, mais cela sera tout juste suffisant et l’ennemi est beaucoup mieux armés. Il faudra probablement soutenir un siège et je ne sais pas combien de temps nous pourrons résister.
L’armée de Veltiem n’était pas très nombreuse, même en comptant les soldats qui avaient survécu à la prise du fort de Gouenliem. Le moral des troupes était au plus bas et la disparition mystérieuse du général Siladan n’arrangeait rien.
Jalep les entraina à l’écart des remparts, vers un vaste bâtiment d’où émanaient des odeurs d’écurie. Ils pénétrèrent à l’intérieur. Quelques tas de pailles étaient entreposés contre les murs tandis que certains chevaux, curieux, passaient la tête hors de leurs stalles pour observer les visiteurs. A part les bêtes, les écuries étaient désertes. Océrem s’approcha d’un cheval au pelage blanc comme la neige et caressa lentement ses naseaux. Derrière lui, Meneldil observait un étalon marron et lui flattait gentiment l’encolure.
- Avec ses chevaux, commenta Jalep, vous arriverez rapidement à la Montagne Inversé !
Océrem passa sa main sur l’encolure de l’animal blanc et se tourna vers le dirigeant de la ville.
- Pourrons-t-ils franchir la montagne et nous mener en Millales ? demanda-t-il.
Meneldil observa un moment sa monture et se tourna vers eux.
- Je pense qu’ils le pourront, ils ont l’air fort et vigoureux, remarqua-t-il.
Jalep se rengorgea fièrement.
- Nos chevaux sont réputés pour être les meilleurs du royaume !
Océrem sortit des écuries avec les deux esalmias.
- Je l’espère, songea le fils du seigneur. Nous devons atteindre la montagne au plus vite !
Jalep les entraina dans les rues de la ville, toujours aussi désertes. Le silence qui régnait entre les habitations devenait oppressant, comme si la cité retenait son souffle dans l’attente des prochains évènements à venir.
- Quand comptez-vous partir ? demanda Jalep en continuant son chemin, suivit des deux esalmias.
Ils se dirigèrent à nouveau vers les remparts pour regagner la demeure du dirigeant de la cité.
- Le plus tôt possible, répondit Meneldil. Le temps presse !
Ils continuèrent leur route et longèrent les remparts de la ville.
- Vous n’aurez qu’à partir demain, suggéra Jalep. Vous pourrez passer la nuit chez moi.
- Merci, lança Meneldil.
Derrière eux, Océrem marchait à l’arrière du groupe tandis que les deux esalmias discutaient ensembles. Le fils du seigneur réfléchissait à l’attitude de Jalep, qui lui paraissait quelque peu étrange. Sans doute est-il nerveux, songea-t-il. La ville risque d’être attaquée à tout moment !
Tandis qu’ils passaient devant les portes de la cité, un soldat accourut vers eux, descendant en hâte les marches menant en haut des remparts.
- Que se passe-t-il ? questionna Jalep en voyant l’esalmias se diriger vers lui.
Celui-ci se mit au garde-à-vous avant de répondre.
- Nous venons de repérer des mouvements suspects au loin, dit-il. Les troupes du Grand Conseil se rassemblent en masse à l’horizon !
Océrem et Meneldil ne prirent pas la peine d’en écouter plus et se dépêchèrent de monter sur les remparts pour observer d’eux même. Au loin, des lignes noires bougeaient lentement, menaçantes. Meneldil attrapa une longue-vue et entreprit d’examiner les mouvements ennemis. Les armées, composées d’esalmias, de sorciers, de fées dépourvus d’ailes, de magiciens et également d’hommes Millales, se regroupaient en masse.
- Ils sont au moins une centaine, marmonna-t-il.
Jalep les avaient rejoint et suivait d’un œil anxieux les déplacements des troupes. Océrem entreprit à son tour d’étudier la situation qui se présentait à eux.
- Ils attaqueront à l’aube ! fit-il remarquer. Ils amènent des tours d’asseaux et un bélier pour enfoncer les portes ! ajouta-t-il. Ils ont l’air décidé à envahir la ville !
Jalep descendit des remparts, suivit de près par Océrem et Meneldil.
- Ils sont trop nombreux ! commenta le dirigeant de la ville. Comment allons-nous protéger la cité et ses habitants ? marmonna-t-il.
- Envoyez un messager à Alanil, suggéra Océrem.
- Impossible, le contredit Meneldil. Cela prendrait bien trop de temps…
Les trois esalmias s’éloignèrent des remparts, afin de ne pas inquiéter les soldats plus qu’ils ne l’étaient déjà.
- Vos soldats sont-ils assez nombreux pour repousser les forces ennemies ? demanda Océrem.
- Oui, ils le sont, répondit Jalep. Mais les troupes du Grand Conseil sont bien mieux armés que nous ! soupira-t-il.
Meneldil secoua la tête en soupirant et leva les yeux au ciel. Se qu’il peut m’énerver, à broyer du noir à la moindre difficulté ! pesta intérieurement l’esalmias châtain.
- Mais vous pouvez tout de même les battre ! s’écria-t-il. Vos forces sont égales, et même s’ils sont mieux armés que vous, cela ne signifie pas que vous n’avez aucune chance d’en venir à bout ! tenta-t-il de le convaincre. Si vous renoncez, ils auront gagné ! Ils pensent déjà avoir remporté la victoire !
Jalep ne répondit pas pendant un moment, plongé dans une profonde réflexion silencieuse. Les deux visiteurs se gardèrent bien de troubler ses pensées. Après un moment, le temps pour eux de se retrouver à nouveau devant la demeure du dirigeant de la ville, ils se décidèrent à parler.
- Alors ? demanda Océrem.
- Qu’avez-vous décidé ? questionna Meneldil.
Jalep se tourna vers eux, la face grave.
- Nous allons nous battre ! lança-t-il.
Un maigre sourire apparut sur le visage de Meneldil et il échangea un regard entendu avec Océrem. Ce dernier prit la parole :
- Nous allons vous aider, Meneldil et moi ! Il n’est pas dit de sitôt qu’une autre cité du royaume tombera ! Pas si nous pouvons l’en empêcher !
Jalep les fit de nouveau pénétrer chez lui et se tourna vers eux.
- Merci, dit-il. Votre aide sera la bienvenue… même si cela vous fera retarder votre départ, ajouta-il. Je suis persuader que votre présence redonnera du courage à nos soldats… notamment à ceux qui étaient en poste à Gouenliem, et qui on vus les forces ennemis prendre le fort !
- Il faudrait donner l’ordre aux habitants de se réfugier ou ils le peuvent, fit remarquer Océrem. Mais il ne faudra pas créer un mouvement de panique, sinon les villageois risquent de s’enfuir de la cité, et la situation serait beaucoup plus critique pour eux.
- Oui, approuva Meneldil. Il faut à tout prit éviter de créer un mouvement de panique et chercher à rassurer autant que possible les habitants. Qu’ils se terrent dans leurs caves, ou ils seront à l’abri des combats.
Jalep les entraina pour la deuxième fois de la journée dans son bureau.
- Je crains que la cité ne soit dans un triste état, soupira-t-il. Que se soit en cas de victoire ou de défaite…
Océrem s’assit sur un des sièges, imité par les deux autres esalmias.
- Les combats risquent d’être violents… et sanglants, prédit Meneldil.
Le fils du seigneur hocha la tête tandis que Jalep gardait le silence. La ville risquait d’être dans un triste état dans les prochaines heures à venir. Que se soit en cas de victoire… ou de défaite !
- A l’aube… lâcha Jalep en soupirant.
L’attente jusqu’à l’heure fatidique commençaient. Les trois esalmias allaient devoirs organiser les défenses de la cité, pour tenir le plus longtemps possible…