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Le Temps d'Emelnys
17 octobre 2015

2 – Souani et Roarik

Une porta claqua à l’étage de la maison et, instinctivement, Souani leva la tête vers le plafond. Elle se trouvait à la cave, emprisonnée derrière des barreaux d’alnilytes[1] solides. De l’autre côté, une table, sur laquelle étaient posés une cruche fêlée et un verre crasseux en bois, et une chaise était disposée contre un mur en tarenos[2] gris, dur comme de la pierre. La chaise et la table étaient en bois et les coins de plafond de la cave étaient parsemés de toiles de petites arnilys[3] et d’eau qui chuintait le long des murs pour former des flaques au sol.
Souani était une jeune fille d’environ seize ans, aux longs cheveux noirs tressés, aux yeux fin et gris clair. Elle portait une tenue de voyage grise déchirée sur les bras et les jambes.  A son cou, elle avait une petite chaîne grise à  laquelle était attaché un médaillon en forme d’emalédia[4] d’un vert passé. Ce médaillon était la seule chose qu’il lui restait de sa famille, qu’elle n’avait pas connue.
La porte de la cave s’ouvrit sur un homme brun mal rasé, semblant avoir une vingtaine d’années, portant une tenue noir et une cape, ainsi que de longs gants, de la même couleur. A sa ceinture était rangé, dans des fourreaux de caratis[5], des dagues et des couteaux, ainsi qu’une épée, toutes ses armes dissimulés par sa cape. 
L’homme, appelé Roarik, descendit dans la cave en refermant la porte derrière lui, et alla se planter devant les barreaux de la prison. Souani le regardait sans rien dire, se demandant pourquoi il venait la voir. La jeune fille avait été capturée par cet homme quelques jours auparavant. Elle avait compris qu’il était sensé la tué, mais il ne l’avait pas fait, du moins, pour le moment.
- Alors, comment sa va, p’tite ? demanda Roarik en ricanant.
Il alla s’assoir sur la chaise et fit un bruit effroyable en faisant racler les pieds sur le sol. Il se versa un verre d’un liquide entre le rouge et le violet dans le verre et tourna son regard vers la prison.
- Vous êtes sensé me tué, pourquoi ne l’avez-vous pas fais tout de suite ? demanda Souani avec courage.
L’homme reposa son verre qu’il s’apprêtait à s’enfiler d’un coup et ricana de nouveau.
- Mais j’nai pas qu’sa à faire, moi, ma jolie, dit-il en avalant son étrange boisson. J’avais d’autres choses à faire et des trucs à régler !
- D’autres choses à faire ? remarqua-t-elle d’un ton narquois, bien qu’elle ait la peur au ventre. Comme voler, par exemple ?
Quand elle avait été capturée, le temps que son ravisseur la traine à Tasano, elle avait apprit que Roarik était un voleur qui se disait être dans le camp du Grand Conseil et qui accomplissait des sales besognes pour lui quand il n’avait pas le choix de faire autrement. Tout ce qu’il voulait, s’était gagner de l’argent, peu lui importait comment.

Roarik ne répondit pas à sa pique. Il savait que la jeune fille désapprouvait totalement son mode de vie. Il était un voleur, point. De toute façon, il tuerait Souani dès qu’il le pourrait. Il avait promis à l’envoyer du Grand Conseil de la tuer au plus vite et ces derniers la croyaient morte. Mais il avait eu quelques affaires à régler, comme voler de quoi manger pour lui, et quelques objets pour des collectionneurs.
La ville de Tasano, situé loin de Gil-Estel, la capitale, était la moins atteinte par l’emprise du Grand Conseil. C’était une ville portuaire qui avait autrefois battit sa renommée sur les destinations mystérieuses de leurs navires. Il y avait également des bateaux de pêches et les poissons qui se vendaient chaque fin de semaine sur le port étaient réputés pour être les plus savoureux et les plus frais du pays.
Les maisons étaient partout construites en baridans[6] et les toits recouverts de tourans[7] de différentes couleurs. Les maisons, dans les autres villes, étaient construites en pierres ou en bois. La particularité des demeures de Tasano avait également contribué à la renommée de la ville, qui était vue comme moderne et à la pointe de la nouveauté.
Mais, comme partout ailleurs, Tasano était habité par des truands, qui étaient le plus souvent des voleurs, des assassins ou des vagabonds. La milice en place dans la ville ne faisait rien pour les arrêtés. Chaque jour, quelque chose était dérobée. Les quelques collectionneurs restant dans la cité se disputaient les services des voleurs pour voler les habitants ou se voler les uns les autres afin de compléter leurs collections d’objets variés et des plus étranges.
Pour un voleur comme Roarik, le travail ne manquait pas dans cette ville et il avait eu des engagements à tenir avant de pouvoir s’occuper de Souani. Mais pour le moment, il voulait se reposer un peu de ses dernières besognes avant de se salir les mains. Et après tout, cela lui faisait de la compagnie, il n’avait pas souvent l’occasion de bavarder, même si c’était pour lancer des insultes à sa prisonnière ou pour se moquer d’elle.

Souani s’était appuyé contre un mur de sa prison et observait Roarik boire son étrange boisson en silence. Bientôt, elle vit qu’il avait plus de mal à attraper son verre et qu’il commençait à marmonner des propos incohérents. Quoi que contenait cette cruche, le voleur était visiblement saoul. Elle le suivit du regard quand il se leva en titubant et remonta dans la maison. Souani resta seule dans la cave. Une lampe qui fonctionnait à la graisse de poisson était allumée et posé sur la table, répandant un peu de lumière.
Elle s’assit sur la paille qui lui servait de lit et soupira. Elle avait envie de s’échapper d’ici. Mais si elle utilisait ses pouvoirs, elle risquait de tout faire sauter, et elle avec. Elle ne contrôlait pas encore très bien sa magie, elle avait encore quelques progrès à faire. Dans quatre ans, à sa majorité, elle saurait parfaitement contrôler ses pouvoirs. Mais en attendant, elle se gardait bien de l’utiliser.
Naïvement, Souani pensait que le voleur renoncerait à la tuer et la laisserait gentiment partir. Elle était jeune et surtout très naïve avec le monde qui l’entourait. Elle était convaincue que même dans les pires truands, sauf le Grand Conseil et ses partisans, se trouvait un bon fond. Si c’était vrai pour certains, la majeure parti des voleurs et des assassins étaient réellement cruels.
Même en ayant déjà observé les violentes colères de son ravisseur quand elle lui faisait une remarque qui ne lui plaisait pas, elle restait convaincue que Roarik avait un bon fond et qu’il n’aurait pas le cœur de la tuer.
Souani s’allongea sur sa paillasse et regarda le plafond de la cave, réfléchissant au caractère de son ravisseur. S’il ne la relâchait pas, elle allait devoir trouver un autre moyen de s’échapper d’ici.

Roarik s’éveilla avec un violent mal de tête. Il était allongé sur son lit et il avait l’impression que la sirène d’un bateau du port résonnait dans ses tympans en continue. La veille, il avait bu un mélange de vin et d’extrait de fruit qu’il avait laissé fermenté pendant des jours, sous les conseils d’un vendeur qu’il avait rencontré dans une des rues de la ville. Il savait que cette boisson n’était pas forcément très recommandée, mais, au moins, cela lui vidait l’esprit. Le voleur se leva et fit quelques pas en se tenant aux murs. Il surveillait sa prisonnière et était remonté de la cave complètement saoul. Du moins, c’est se qu’il pensait, il ne se souvenait plus très bien.
Il se versa un verre d’eau pour faire passer son mal de tête et l’avala. Puis il se dirigea vers l’endroit ou il rangeait sa sacoche noire et fouilla à l’intérieur. Il en sortit un petit carnet qu’il feuilleta. Il notait à l’intérieur tout ses engagements. Il s’arrêta sur une des pages et la parcourut du regard. Il avait du travail aujourd’hui. Un des collectionneurs de la ville voulait qu’il dérobe un carysis[8] doré pâle à un autre collectionneur.
Roarik rangea ses affaires dans sa sacoche et prit un peu de nourriture et d’eau dans la cuisine. Il descendit ensuite le tout à Souani dans sa prison. Il remonta ensuite chez lui et ajusta sa sacoche à sa ceinture. Il connaissait bien le quartier ou se trouvait le carysis qu’il devait voler. Il sortit de chez lui non sans avoir verrouillé la porte à clé. Il vivait dans un quartier mal famé de Tasano qui était en quelque sorte le repère des voleurs et des truands.
Il arriva rapidement sur le port. Il n’avait pas obligatoirement à passer par ici, mais il aimait sentir les embruns de la mer et la caresse du vent marin sur son visage. Il avait toujours vécu ici et ne se sentait chez lui nulle par ailleurs. S’il n’hésitait pas à voyager dans le royaume pour ses engagements, il était toujours heureux de retrouver sa ville natale.
S’attardant sur le port, il bifurqua dans une rue, puis dans une ruelle. Il arriva ensuite devant la demeure du collectionneur à qui il devait voler le carysis. Il contourna l’entrée et entra par l’arrière après avoir vérifié que personne ne se trouvait dans les parages. Silencieux, il longea les murs de la bâtisse, se cachant dans les coins d’ombres. Tout était calme. Trop calme.
Le collectionneur qui l’employait lui avait dit que le carysis se trouvait à l’étage, exposé sur le dessus d’une commode en bois. Il repéra l’escalier et monta rapidement. Il entra dans une pièce et vit, en effet, le carysis posé sur une commode en bois. Il scruta la pièce pour s’assurer qu’elle était vide puis se dirigea vers la commode.
Il allait se saisir de la pierre précieuse quand il entendit des aboiements de chiens.
- Hé mince ! jura-t-il. V’là les cabots !
Prudent, il rafla rapidement la pierre et la mit dans sa sacoche. Puis il se précipita en courant vers la sortie de la pièce. Il dévala l’escalier en courant et aperçut deux molosses, crocs découverts et bave aux lèvres, qui aboyaient à se rompre les cordes vocales. Sans prendre le temps de savoir d’où venaient ses bêtes, Roarik sortit de la maison par la porte arrière.
Derrière lui, il entendait les aboiements des chiens. Les molosses se lançaient à ses trousses. Il se mit à zigzaguer dans les ruelles qu’il connaissait bien. Mais il savait que les deux bêtes le retrouveraient toujours grâce à leur odorat. Il décida de bifurquer vers le port et courut sur le quai sous le regard étonné des gens.
En passant devant un étalage de poivre qu’un commerçant avait fait importer du Monde Inconnu, il se saisit d’une poigné des graines de ce fruit et détala rapidement. Il tourna dans une rue qui menait vers son employeur du moment et répandit le poivre sur le sol. Il accéléra ensuite l’allure et disparu dans une ruelle. Derrière lui, les chiens s’étaient arrêtés et reniflaient le poivre. Ils avaient perdu la trace du voleur.
Roarik s’arrêta pour reprendre son souffle et s’appuya contre un mur. Il s’assura que personne d’autre que lui ne se trouvait dans la rue et sortit le carysis de sa sacoche. La pierre précieuse était absolument splendide. Le jeune homme la fit lentement tourner entre ses mains. Sans réfléchir, il cassa un morceau de la pierre et le rangea dans une poche de sa sacoche. Puis il remit à sa place le carysis et pénétra dans la maison du collectionneur qui l’employait.
Le collectionneur le paya grassement pour sa peine et il ressortit rapidement dans la rue. Il passa sur le port une nouvelle fois. Il était plus de midi et il commençait à avoir faim. Il acheta du poisson avec l’argent qu’il avait gagné et rentra chez lui. Il se débarrassa de sa sacoche et fit cuire le poisson avec les ustensiles de mauvaises qualités qu’il possédait. Tout l’argent qu’il gagnait était dépensé en nourriture et dans le maigre loyer de sa maison.
Une fois le poisson près, il descendit à la cave pour surveiller sa prisonnière. A son arrivée, Souani se releva et l’observa sans rien dire. Elle avait mangé sa maigre ration qu’il lui avait donnée le matin en partant de bonne heure. Il la regardait du coin de l’œil en avalant son poisson. Il n’avait pas vraiment l’âme d’un assassin. Mais il avait accepté ce travail et il comptait bien le mené à bien. Mais il pouvait le faire quand il le désirait, il avait déjà empoché l’argent.
Il laissa une part du poisson sur la table et recula sa chaise contre le mur.
- Alors ma p’tite, comment te porte tu aujourd’hui ? dit-il en ricanant.
Il s’arrangeait toujours pour la faire parler quand il venait la voir, cela lui faisait de la conversation. Souani ne répondit pas et l’observait en silence. Le voleur soupira et se releva. Elle n’était pas bavarde aujourd’hui. Il reviendrait dans la soirée, peut être serait-elle plus causante.
En remontant, il lui donna le reste de son poisson en guise de repas, sans un mot, se contentant de la regarder. Lui n’avait plus faim. Il remonta dans la maison et la laissa seule dans la cave.

Souani fixa un moment la porte. Roarik pouvait se montrer gentil, bien que très rarement, et la seconde d’après entrer dans une colère noire. La jeune magicienne avait du mal à cerner le caractère de son ravisseur. Elle devait pourtant y arriver pour pouvoir espérer le tromper et sortir d’ici. Elle allait devoir se montrer très attentive dans les prochains jours.



[1] L’alnilyte est un matériau semblable au fer

[2] Le tarenos est un matériau semblable au béton

[3] Les arnilys sont des bêtes semblables aux araignées

[4] L’emalédia est une pierre précieuse ressemblant à l’émeraude

[5] Le caratis est une matière semblable au cuir

[6] Les baridans ressemblent aux briques

[7] Les tourans ressemblent aux tuiles

[8] Un carysis ressemble beaucoup à du crystal

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